Suite à au sommet de l'OTAN à Strasbourg en avril 2009 - Correspondance à propos de stratégies et émotions révolutionnaires
Texte imprimable en version brochure ci-jointe. Disponible aussi en anglais sur le web.
# Note
# Lettre
# Réponses / morceaux choisis...
# annexe “Otan en emportent les black blocs”
# Note
Ce
texte et les réponses qui suivent sonts écrits au “je”, comme si ils
reflétaient les pensées d'une personne et les réponses d'une série
d'autres. En fait ces personnes n'existent pas. Chacun de ces textes
contiennent des voix diverses qui ont fusionné. Le premier provient de
discussions qui se sont déroulées après les actions contre l'OTAN à
Strasbourg en 2009, et d'extraits d'écrits de différentes personnes à
différents moments. Les réponses sont compilées à partir de discussions
et de correspondances avec des personnes qui avaient lu le premier
texte.
Ces textes se présentent comme un projet collectif,
mais il n'y a pas réellement de groupe ou de collectif derrière ces
écrits. Il n'y a pas de réunion ou de projet commun qui ont abouti à la
mise en place de ces idées. Beaucoup d'entre nous, dont les idées sont
exprimées ici étions à Strasbourg en avril 2009, et probablement que
nos chemins se sont croisés à différents autres moments, derrière des
banderoles et des barricades, ou dans divers espaces libérés à travers
l'Europe. Ce que nous partageons tous est le besoin de générer et
participer à des débats autour des actions qui se sont déroulés à
Strasbourg pendant le sommet de l'OTAN, et au-delà.
Cette
manière d'écrire a été choisie pour se libérer des polarisations
politiques qui structurent notre pensée à propos d'une idée ou d'une
approche. C'est un exercice qui requiert un niveau de confiance et
d'acceptation de pensées “autres”, inhabituel dans une culture
politique qui tend à valider ou rejeter un argument en fonction de la
position idéologique sur laquelle nous percevons qu'il repose. Les
doutes et questions soulevés par les personnes qui ont vécu différents
moments des actions à Strasbourg (durant les quatres journées et pas
seulement le samedi) et qui venaient de différents pays, contextes,
genres, avec différentes expériences de luttes, étaient bien sûr très
variées et parfois contradictoires. Nous avons choisi de les traiter,
non comme des positions uniquement conflictuelles, mais comme des
doutes internes, des questionnements, des contradictions et des
ambivalences, qui peuvent potentiellement se retrouver au sein d'un
même mouvement ou même coexister dans un seul esprit.
Cette
manière d'écrire a été choisie pour aller à l'encontre de la tendance à
considérer les questionnements comme des menaces. La diversité d'idées
exprimée signifie qu'il y a très peu de chances que de quelconques
consensus émergent autour de ces textes. De plus il n'y a pas ici de
prise de position définitive et sans appel face à laquelle nous
devrions défendre nos groupes ou nos actions.
Penser à la
manière de présenter ces questions a été un processus collectif lent et
difficile, ce qui explique que ces textes ne soient publiés que trois
mois après Strasbourg. Toutefois, nous pensons que les problématiques
soulevées ici risquent de rester pertinentes pendant un moment encore,
et nous espérons que la manière dont ils sont écrits aidera à alimenter
des réflexions et à créer des débats autour des dynamiques d'actions et
de relations dans le cadre de nos luttes pour la liberté.
Ces textes ont été publié sur Indymedia en Juillet 2009.
# Lettre...
Pendant
dix ans, j'ai couru avec le black bloc, saisissant chaque opportunité,
chaque moment où nous étions suffisament forts pour mener des émeutes,
et remplir l'air du son des vitres cassées et des moulinets de bâtons,
des odeurs tenaces de l'adrénaline, de l'essence, de la testostérone et
des gaz lacrymogènes. Pendant dix ans, j'ai pris parti pour la
“diversité tactique” et poussé à la radicalisation : des mouvements
sociaux aux luttes sociales et à la guerre sociale. Alors il est
difficile pour moi d'écrire ce texte...
Pendant les journées
contre l'OTAN à Strasbourg, j'étais toujours à l'intérieur ou à
proximité des actions de type black bloc, parce que c'est là que va mon
affinité. Selon moi, il était approprié de réagir à la complicité
policière dans une nouvelle mort au cours des manifs du G20 à Londres.
Nous avions raison d'être véners de la manière dont la manifestation
avait été reléguée dans une zone industrielle et coupée en deux par des
milliers de flics sur la frontière franco-germanique. J'ai soutenu la
décision de combattre la police pour essayer de briser l'espace dans
lequel ils nous avaient enfermés avec leurs négociations et leur armes
de contrôle des foules, et d'essayer ainsi de mener nos actions quelque
part où cela faisait plus de sens, et cela m'a remplie de joie de voir
le poste-frontière brûler.
Même l'action à l'Hotel Ibis m'a
réjouit. C'est un sujet plus complexe : je ne pense pas que nos actions
de ce samedi (et peut-être en général) vaillent de prendre le risque de
blesser grièvement des personnes. Mais quoi qu'il en soit, j'ai compris
que personne n'avait été blessé dans cette action, et il est important
de se remémorer que l'hotel en question était partie prenante du sommet
de l'OTAN. C'était un des 5 hôtels qui avait été publiquement mis de
côté pour loger les milliers de journalistes qui étaient là pour
couvrir les “célébrations”, ainsi qu'un lieu d'où la police espionnait
les manifestants. Donc même en ignorant les profits qu'Ibis fait sur
les expulsions de sans-papiers, il est difficile de dire que ce n'était
pas une cible légitime.
Mais malgré tout cela, les
expériences de cette semaine m'ont laissé un sentiment de malaise et de
confusion. Nous avons pris le dessus sur une marche pacifiste pour la
faire ressembler à une guerre... Nous avons utilisé l'espace du
campement, bouffé à la cuisine collective et chié dans les toilettes.
Mais comparé aux évènements et campements autogérés auxquels j'ai
participé auparavant, notre implication dans le village s'est limitée
cette fois ci principalement à boire des bières, à nous retrouver
discrètement pour de petites réunions d'actions fermées, ou à combattre
les flics autour du campement, construire des barricades enflammées, et
à faire que ça ressemble à une guerre... Et à travers tout ça je me
suis retrouvée à me questionner de plus en plus sur la manière dont nos
actions se reliaient à nos visions politiques, à nous-mêmes, à nos
rencontres avec d'autres et à nos “valeurs”.
Je ne dis pas
que nous avions tort d'agir de la manière dont nous l'avons fait. Je
suis critique depuis fort longtemps de notre tendance à mettre
tellement d'énergie à construire “une industrie de services activistes”
(soutien légal, équipes médicales, organisation du campement, médias
indépendants...), jusqu'à ce qu'il n'y ait pratiquement plus personne
pour mener à bien les actions (qui deviennent à la fin de plus en plus
symboliques). Dans ce sens, Strasbourg offrait en partie un changement
plutôt bienvenu. Mais notre arrogance m'a perturbée. Je ne voyai pas
d'intérêt autour de moi à participer au reste, à expliquer, ou au
minimum à montrer une simple reconnaissance du fait de faire partie
d'une dynamique commune. Une dynamique commune dans laquelle des gens
qui se préoccupent de différents élements permettent à une action
globale de se mettre en place et d'avoir une force de frappe. La
focalisation, peut-être le seul intérêt était dans la confrontation
violente. Et nous semblions regarder de haut toute personne qui le
questionnait où ne semblait pas immédiatement comprendre pourquoi nous
agissions et pensions de cette manière.
Comme d'habitude,
dans les journées qui ont suivi la manifestation de Strasbourg, les
leaders des partis politiques momifiés de la gauche ont dénoncé et se
sont dissociés de la “minorité violente”. Les pacifistes ont de leur
côté expliqué que leurs actions avaient été ruinées par des hooligans
“apolitiques”. C'est toujours frustrant de lire ce genre de
commentaires, et cela crée facilement la division entre “eux” et
“nous”, qui nous permet à notre tour de descendre en flammes les
“démocrates” et les “réformistes” qui mènent leur actions pacifiques et
retournent ensuite à leur confortable vie bourgeoise. Mais dans le même
temps j'étais gênée par le manque de respect ou d'intérêt montré par
les participants aux black blocs pour les autres participants aux
actions anti-OTAN, tout particulièrement parce que si un certain nombre
d'entre eux auraient pu mener leurs actions à bien sans nous, nous ne
pouvions entreprendre nos actions sans eux.
Bien sûr, nous
sommes “sexy”, tous en noir, offrant une nouvelle pose de riot-porn aux
caméras. Mais nous n'étions qu'une petite partie d'un ensemble. C'est
d'ailleurs assez ironique que les participants aux black-blocs qui
critiquent tellement les médias, soient aussi les premiers à accepter
la tendance à faire du bris de vitrine et de l'incendie de poubelle,
l'unique focus de la journée. Il est pourtant important de reconnaitre
que sans l'infrastructure mise en place par les organisateurs du
campement (que nous avons surtout consommé), sans le boulot extrêmement
tendu de l'équipe légale qui a pu nécessité certaines négociations avec
les flics et le fait de créer des pressions politiques et juridiques
(ce que nous méprisions), et sans la protection physique et politique
offerte par la présence de milliers de manifestants dont beaucoup
avaient des visions politiques et des manières d'agir différentes des
nôtres, il n'aurait pas été possible de brûler la frontière, de
détruire les caméras ou d'attaquer la police de la manière dont nous
l'avons fait.
J'ai vu des groupes de pacifistes, des
personnes plus vieilles, des gens avec des enfants qui courraient dans
tous les sens terrifiés par les lacrymos, les flash-balls, mais aussi
les pierres qui leur tombaient dessus (parce qu'il y a toujours des
personnes qui ne regardent pas vraiment où elles lancent, ou des idiots
qui tirent sur les premiers rangs depuis l'arrière.). Et pour la
première fois je me suis demandé ce que l'on pouvait ressentir quand on
était à l'extérieur du black bloc.
Nous nous sommes organisés
en réunions chuchotées, en petits groupes fermés et paranoïaques. Si
vous n'êtes pas à l'intérieur, il n'y a quasiment aucune possibilité de
participer. Toutefois nous portons nos actions au sein d'espaces (comme
la manif) où elles affectent directement des personnes qui n'ont pas eu
d'opportunités de dialoguer, de douter, de débattre, ou de décider. Et
nous attendons d'eux qu'ils en assument les conséquences. Nous
attendons d'eux qu'ils ne critiquent pas publiquement, mais nous ne
leur donnons que peu d'opportunités pour critiquer en privé. Nous
attendons d'eux qu'ils ne se dissocient pas de quelque chose dont ils
n'ont pu, de fait, s'emparer, ni dans la préparation ni dans la mise en
acte. Nous attendons d'eux qu'ils respectent nos positions politiques
et nos formes d'actions, tandis que nous nous comportons souvent d'une
manière qui suggère que nous n'avons ni respect ni intérêt quant aux
leurs.
Je ne suis pas une hippie. Je ne suis pas une
pacifiste. Je ne crois pas que les Etats, les multinationales, les
armées et la police, vont un jour, si elles sont confrontées à
suffisament d'information et de persuasion, être convaincue de baisser
les armes, de renoncer à leurs pouvoirs et leurs assauts à l'encontre
de la terre et de ceux qui la peuplent. Je ne pense pas que les
manifestations pacifiques “marchent”. En fait, je ne suis pas non plus
convaincue que les actions violentes “marchent”, puisque notre violence
sera toujours moindre que la leur, du fait de leur accès aux nouvelles
technologies, à la main d'oeuvre et aux armements. Mais je suis prête à
faire les deux puisque nous devons nous battre de toute manière ou
baisser les bras.
Je ressens que je suis sûrement plus
vieille que beaucoup des personnes qui ont participé aux black blocs à
Strasbourg. Je viens de la génération qui a pris les rues et a combattu
dans une sorte de pure joie démente au milieu des années 90. J'imagine
que je viens d'une période d'innocence : avant la mort de Giuliani,
avant qu'ils nous appellent des terroristes, avant que toute notre
créativité soit absorbée dans le spectacle du “mouvement de masse” aux
bloquages d'heiligendamm, où dans le vide politique des forums sociaux.
Je me remémore un temps, où nous croyions dans l'avenir et où nous
sentions même quelquefois que nous avions des choses à gagner. Dans ce
contexte, la “diversité tactique” renvoyait à une volonté de prendre en
considération toutes les formes d'actions possible pour atteindre nos
buts. Mais pour ça il nous fallait des buts.
Une des choses
qui m'a perturbée à strasbourg était le sentiment de ne plus être
vraiment sûre de quels étaient nos buts. Les personnes impliquées dans
les tactiques de type black bloc ne semblaient pas intéressées par le
bloquage du sommet, ou dans la mise en place d'actions moins
prévisibles, mais seulement par la manifestation. Selon nos propres
analyses, les manifestations sont souvent un maigre substitut à
l'”action directe”. Mais nous avons concentré notre énergie à créer
l'espace ou la situation au sein desquels nous pourrions faire une
émeute (même si le seul endroit où nous pouvions le faire était une
zone industrielle située à des kilomètres de tout). Le succès ou
l'échec de l'action, semblait-il, pourrait se mesurer au nombre de
pierres lancées, de poubelles brûlées, de vitres cassées, où de flics
blessés.
Les émeutes cessent alors d'être une tactique et
deviennent une fin en soi. Dans ce cadre, nous n'avons pas besoin
d'argumentation politique pour défendre ou définir nos actions. Nos
actions sont notre argumentation politique : elles ne recquièrent pas
plus de contextualisation que le capitalisme lui-même dans toutes ses
formes, et elles s'auto-définissent et parlent pour elles-mêmes.
Cela a des aspects positifs. La politique devrait venir des trippes et
pas seulement de la tête. Mais si nous nous référons seulement des
appels aux armes poético-insurrectionalistes comme “Appel” où “A
couteaux tirés” pour définir ce que nous faisons, nous finissons par
abstraire nos actions de la réalité. Quand je suis revenue à la maison
j'ai relu un livre que j'avai entamé il y a longtemps, l'”amant du
démon : sur la sexualité du terrorisme”, de Robin Morgan (une
ex-wheathermen). Elle y décrit un certain processus de radicalisation
des luttes :
« [celui-ci] conduit à une dynamique de “la fin
justifie les moyens”. Comme les abstractions se mettent à proliférer,
les thématiques originelles de luttes sont enclines à être oubliée
entièrement... De la rhétorique, un territoire, des outils, des armes,
des uniformes deviennent les fêtiches de la combattivité masculine...
L'orientation – de vivre pour une cause – par exemple combattre pour
une meilleure qualité de vie – se referme vers le fait de mourrir pour
une cause. La violence. Ceux qui la remettent en question sont des
traîtres. Une politique de l'espoir devient une politique du désespoir.
Le but devient maintenant beaucoup trop abstrait pour être atteint et
la virilité ne peut se satisfaire de moins. Le cynisme surgit, tout
comme les stratégies orientées sur la provocation et la polarisation.
Ce qui visait autrefois à un triomphe humain se dirige maintenant vers
une défaite de puriste. L'Etat ne peut que nous en être reconnaissant.
»
Le tableau qu'elle décrit est sombre, elle voie la violence
politique comme une impasse. Selon elle, en étreignant la violence,
nous nous condamnons à reproduire les schémas du patriarcat, de
l'autoritarisme et des systèmes de valeur masculins dans nos actions,
nos relations et nos collectifs jusqu'à une fin amère. J'ai rejeté ce
bouquin comme de la merde pacifiste quand je l'ai lu pour la première
fois, mais aujourd'hui certains de ses arguments me font réfléchir.
Quelquefois, je ressens que nos faiblesses, notre manque de direction
et de projections, crée une culture où nous nous enfermons dans une
esthétique politique (pas même une idéologie!) et où nous limitons nos
actes et nos paroles aux formes d'actions qui sont perçues comme
suffisament combattives/guérrières pour être acceptables. Nous devenons
imperméables à la complexité. Nous ne laissons pas de place aux doutes
ou aux questionnements. Il n'y a pas d'assemblées ouvertes, pas de
forums, pas de portes-paroles et notre seule forme de communication
politique se situe dans nos actions et les images qu'elles projettent.
Nous nous structurons dans l'image de la guerilla en bande sombres,
nous donnons un sens symbolique à ce qui n'est souvent que de l'action
violente indirecte (et s'oppose parfois à l'action directe
non-violente)... Mais nous devrions être capable d'être honnête et
sincère quant au contenu de ce que nous faisons ou nous allons finir
par n'être plus constitué que d'images..
Sous l'ombre d'un
chêne, nous communiquons par des chuchottements. Ma mâchoire est tendue
par le frisson de la conspiration...et par la fierté. Le secret et
l'importance que se donne ce groupe est contagieuse. Dans ma
frustration, cloîtrée par le désert de l'existant, je suis gagné par
leur pouvoir, leur langage et leur conviction arrogante d'avoir raison.
Mon besoin de faire quelque chose, quoi que ce soit, est séduit par
leur combattivité. Alors j'apprend vite, à parler ce langage de la
violence, avec confiance et en cachant mes doutes et mes ambivalences,
comme ils le font.... mais aujourd'hui j'observe les visages de mes
compagnons, les lèvres serrées et promptes à désapprouver, prompts à
condamner ceci et cela, cette brèche dans la sécurité ou cet échec dans
la combattivité, ou de simples démonstrations de faiblesse. Et je
ressens un besoin inattendu, obstiné et anti-autoritaire de dire à voix
haute “J'ai peur”.
Et peut-être est-ce parce que je vieillis
(et que je vois que les visages autour de moi changent : certains
camarades qui se fatiguent, dépriment, disparaissent tandis que l'âge
moyen de ceux qui prennent les rues reste identique), où peut-être
est-ce parce que derrière ma cagoule, je suis toujours une femme. Et
que ça vous plaise ou non, en tant que femme dans nos milieux j'ai
travaillé dur pour obtenir mes “qualifications au combat”, pour dire
les choses justes, et pour me prouver à moi-même et aux autres
régulièrement à l'épreuve du feu. Mais même à présent, les valeurs de
l'insurrection au masculin, de la conviction idéologique inébranlable
et de la capacité à faire mal pour la cause ne me viennent pas toujours
“naturellement”.
Et si nous ne sommes pas honnêtes avec
nous-même, si nous cachons continuellement nos sentiments et nos
faiblesses, nos déprimes et nos intimités derrière des masques et des
postures guérrières, alors nous nous auto-limitons. Nous nous empêchons
d'analyser notre position réelle et de savoir ainsi dans quelle
direction aller ensuite. Dans ce cas nous ne sommes plus en train de
gagner mais de perdre. C'est seulement en reconnaissant et en
comprenant les problèmes que nous traversons que nous pouvons commencer
à chercher des solutions. J'écris ce texte parce que je ressens que
nous avons besoin de communiquer quelque chose de plus que l'arrogance
de la jeunesse et des images de guerre.
J'ai trouvé excitant
d'être dans les rues avec les gars de la banlieue d'à coté, qui
speedaient et donnaient la direction sur leurs scooters, confortés par
notre présence dans le fait de prendre les rues à ce moment là aussi.
C'était fort et cela faisait sens de se confronter aux flics ensemble.
La violence peut (et c'était le cas en l'occurence) unir et aider à
construire des liens. Je doute en l'occurence que ces gars auraient été
très intéressés si nous avions déambulé dans un défilé pacifique à
travers leur quartier en distribuant des tracts sur l'OTAN.
Toutefois, j'étais aussi perturbée à d'autres moments par un type de
tranchant que je ressentais dans l'atmosphère. C'était parfois présent
dans la rue, et peut-être encore plus dans le campement, où aiguisé par
l'alcool, cela ressortait en petits combats de chiens macho se
confrontant pour établir la hiérarchie de la journée... Peut-être que
je ne suis pas assez nihiliste mais je me débat avec les contradictions
que cela fait surgi en moi.
J'ai envie de sortir de nos
milieux pour rentrer en contact, interagir et agir avec d'autres, pour
trouver les terrains communs qui nous permettent de détruire ensemble
la prison de néon et de plastique dans laquelle se comprime notre
quotidien. Mais si nous nous mettons à fêtichiser sans recul critique
la combattivité des bandes, des “banlieues”, l'incarnation de la “rage
du peuple”, si nous orientons nos actions vers certains type de
violence sans leur donner plus de contenu, alors nous ne devenons pas
si différents des supporters de foot et des gangs qui se donnent un
temps et un lieu pour un combat prévu (samedi après-midi à la manif, au
lieu d'après le match !). Pour le dire simplement, il y a des
dynamiques, des valeurs et des attitudes qu'il ne m'intéressent pas de
reproduire, quel que soit leur authenticité de “rue”.
Cela
m'intrigue de comprendre pourquoi certaines personnes sont attirées par
un type particulier de pensée politique et d'actions. Je sais pour ma
part combien je trouve séduisant l'”uniforme” des autonomes, comment je
me sens stimulée par un black bloc, et combien j'aime les actions
secrètes. Mais quelles sont les valeurs esthétiques, culturelles et
genrées sur lesquelles reposent cette attraction ? D'où viennent-elles
? Où mènent-elles et qui servent-elles ?
Je ne suis pas en
train de suggérer que nous devrions quitter la voie dans laquelle nous
nous trouvons, pas le moins du monde, seulement que nous la
poursuivions avec précaution, considération et une compréhension de la
manière dont elle agit sur nous. Nous devrions constamment pouvoir
analyser la manière dont nous réagissons à nos actes, ce que nous avons
besoin de mettre en place collectivement et personellement pour les
mener à bien et la manière dont cela affecte nos relations et attitudes
envers les autres.
La violence – quels que soit ceux qui
l'utilisent – a des répercussions sur la “santé” affective, pas
seulement de ceux qui vont la recevoir au final, mais aussi de ceux qui
la génèrent, quel que soit leurs objectifs et leur idéologie. Je n'ai
aucune sympathie pour le pacifisme en tant qu'idéologie. Je ressens par
contre un besoin à ce que nous nous entraidions à combattre ardemment
pendant plus longtemps et avec une meilleure “santé” personelle et
collective. Le fait de choisir le chemin de la violence aux prix de
risques personnels et collectifs, implique de se donner une culture de
sécurité dont certaines des caractéristiques inhérentes sont
l'exclusion, la paranoïa, les non-dits et un tissage relationnel au
sein duquel des parties importantes de votre vie doivent rester cachées
et ne peuvent être partagées. Cela entraîne des tensions et des
sentiments particuliers (de la jalousie, de l'insécurité, le fait de se
donner des critères de valorisation parfois très réduits, ou de ne
pouvoir partager ce que l'on fait). C'est une voie dans laquelle on
peut parfois paradoxalement se retrouver à traiter les gens dont les
visages nous sont pourtant familiers, non comme des camarades, mais
comme des ennemis potentiels. Je pense que cela a un impact important
sur nous : sur la manière dont nous considérons les autres et nous
mêmes.
J'ai peur que de poser ces doutes et ces questions
entraîne que je sois rejetée. Mais des valeurs aussi “non-guerrières”
que l'empathie, l'ambivalence, la réflexion, et le fait d'ancrer nos
comportements dans le personnel et le réel, sont politiques aussi. Je
vais donc prendre le risque de ce rejet et écrire. J'espère que ce
texte sera pris comme une auto-critique et pas comme une attaque.
J'espère que quelques unes de ces idées trouveront un terrain fertile
pour générer des débats : pour briser nos images et scruter la
substance en deça.
Nous vivons des temps passionants. La
résistance devient de plus en plus évidente face aux crises
économiques, écologiques, sociales et politiques qui ébranlent le
monde, et il semble que les Etats et corporations ne cherchent même
plus à dissimuler la figure véritable du capitalisme, de la guerre et
du contrôle social. Le changement (dans un sens ou dans un autre)
pourrait bien s'avérer inévitable et il va nous falloir combattre en
son sein, que nous aimions cela ou pas. Dans ce contexte, j'écris avec
espoir et avec le désir de rechercher des réponses à la question posée
par des amis grecs au pic des révoltes de décembre 2008 :
“et après avoir tout brûlé ?...”
# Réponses / morceaux choisis...
« (...)
Je suis venue combattre le sommet de l'OTAN à Strasbourg, pleine de
l'espoir que ça allait vraiment clasher. Je cherchai des gestes forts
de résistance qui expriment dans notre présence une remise en cause du
système dans son ensemble. Et nous avons clashé... Même si cela peut
renvoyer aux lacunes de certaines de nos luttes quotidiennes, même si
il y a sans doute là dedans une part de tromperie politique et
d'illusion spectaculaire, il m'est inutile de nier le plaisir et la
force de ces moments collectifs débordants ou pendant quelques minutes
ou quelques heures, « en masse », nous ne sommes plus encerclées par
l'hégémonie du “nous ne pouvons rien changer, de toute façon”.
Toutefois, mes expériences autour du pont de l'Europe à Strasbourg le
samedi laissent place à certains malaises et frustrations. La stratégie
policière, à ce qu'il semblait, était d'isoler la manifestation, et
avec elle le “black-bloc”, sur une friche industrielle atteignable
seulement par des ponts, sur une route pour nulle part. Et leur
stratégie a fonctionné de ce point de vue. Malgré les tentatives du
groupe de blocage parti à l'aube, l'intérieur de la ville est resté
calme et tranquille. Tandis que je marchai à travers le centre ville
plus tard cet après-midi là, je pouvais voir des délégations et convois
de l'OTAN défiler devant moi en voiture à travers les rues sans être
attaqués, et je ne pouvais m'empêcher de penser que nous aurions peut
être réussi à créer plus de troubles pertinents à l'écart du champs de
bataille sur lequel nous étions attendu.
Cela m'a donc
intéressé de lire ton texte et d'y trouver des pistes pour mettre en
forme mes propres questionnements, sans tomber dans les dénonciations
aussi typiques que stupide du genre “le black bloc travaille avec la
police.”. Il y a quand même certains de tes arguments qui me
perturbent, alors histoire de continuer à faire progresser le débat, je
t'ai écrit une réponse.
Tout d'abord, je pense qu'il est
important d'insister sur le fait que le contenu des actions initiées
samedi – la destruction de banques, du poste frontière, de l'hotel
ibis, de caméras de vidéo-surveillance et autres outils de domination
n'étaient pas déconnectées de la présence de l'OTAN dans la ville. Ces
actions marquaient un lien entre les politiques de l'OTAN et les
banques, multinationales, institutions étatiques et complexes
industriels et militaires qui entouraient le sommet. Elles visaient,
au-delà de l'institution et de sa cérémonie, l'architecture globale de
sécurité, que l'OTAN annonce mettre en oeuvre en réponse aux
soulèvements et aux actions directes qui se multiplient face à la
“crise” du capitalisme et du système post-colonial.
Dans un
contexte où les Etats français et allemands avaient posé le défi que
rien ne se passe par une débauche de moyens policiers, il y avait un
enjeu politique fort à montrer que quel soit le nombre de flics,
d'helicos, de contrôles, de propagande pour effrayer la population,
cela peut encore déborder, faire émerger des rencontres et alliances...
et ce pari risqué a marché. Ce qui ne signifie pas pour autant que ce
soit toujours le plus pertinent d'aller se frotter au corps à corps là
où ils concentrent leur force. L'important c'est aussi d'arriver à
rester imprévisible, et de ne pas rentrer dans des systèmatismes. (...)
»
***
« (...) Comme ton texte se réfère à un “nous”,
il me semble nécessaire de préciser ce qu'il peut définir. Aussi vague
et contradictoire soit-il, ce “nous” me semble renvoyer à des
regroupements multiformes qui visent à dépasser l'Etat et le
capitalisme, l'oppression patriarcale et post-coloniale sur des bases
anti-autoritaires, par le biais d'actions directes d'attaques et
d'autonomisation, et sans dogme non-violent. C'est une manière de le
dire, il y en aurait 2000 autres. Et comme ce “nous” d'une certaine
“internationale révolutionnaire” n'est pas un parti et n'a pas
d'existence formelle figée, on peut s'en sentir plus ou moins partie
prenante et on peut le délimiter ou le percevoir de manière très
différente. Certains vont se référer à un “nous” comme interconnecté à
une échelle internationale par des réseaux, organisations, voyages,
actions, échanges stratégiques, relations amoureuses et amicales...
D'autres auront du mal à ressentir un “nous” au-delà d'un ancrage
local, plus restreint et contextualisé. Certains se sentent aisément
partie prenante d'un mouvement et d'une histoire commune, d'autres
seront beaucoup plus réticents à partir d'un ensemble aussi hétéroclite
et divisé, sans définition politique plus précise. (...) »
***
« Quand tu évoques un “nous” , ton texte peut donner l'impression
faussée qu'il y aurait eu un black bloc à Strasbourg, plus ou moins
organisé comme un ensemble, formé de groupes et personnes qui se
reconnaissent dans cette identité et porteraient une histoire commune à
travers cette tactique. Mais le black bloc n'est pas un groupe. C'est
un terme beaucoup trop simpliste qui rassemble à un moment donné des
groupes qui peuvent porter par ailleurs des stratégies de confrontation
et des visions politiques différentes. Il n'est jamais inutile de
rappeler que les tactiques de type black bloc et la présence au
contre-sommet ne sont qu'une des formes, souvent marginales, de
l'action politiques des personnes qui y participent. Beaucoup des
personnes qui pouvaient être considérées à ce moment là comme faisant
partie du “black bloc” participent quotidiennement à des luttes, des
formes d'autonomisation et des espaces de vie de beaucoup d'autres
manières. Beaucoup de ceux qui peuvent se retrouver dans ces tactiques
émeutières font aussi le choix politique de ne pas venir à des
contre-sommets du type de Strasbourg. Un certain nombre de personne
perçoivent peut-être effectivement une histoire et une ligne politique
commune qui peut se retracer maladroitement à travers les apparitions
multiformes et communiqués de « black blocs » dans les actions
anticapitalistes de cette dernière décennie et au delà. Mais beaucoup
de celles et ceux qui ont choisi ces tactiques à Strasbourg ou ailleurs
ne se représentent pas en tant que black bloc et critiquent même cette
étiquette et ses postures comme un piège identitaire et une case
médiatique. Une étiquette qui risque avant tout de créer des barrières
avec des personnes avec qui il serait possible de partager ce type
d'actions. Il n'y avait en tout cas pas de coordination unitaire des
tactiques de “Black blocs” à Strasbourg, mais des groupes plus ou moins
larges qui se sont préparés pour un certain type d'actions dans ce
contexte, et des connexions basées sur diverses affinités. (...)
Le fait de ne pas se refermer autour d'une identité “black bloc” est
particulièrement important parce que cette diversité des personnes
partageant des tactiques offensives risque d'aller croissant. La
“crise” que tu évoques signifie surtout un réagencement de la
domination capitaliste où la situation sociale et le contrôle vont se
durcir; ainsi que, espérons le aussi, des mouvements de résistance. Des
groupes et mouvements divers font ressurgir dans leurs luttes
quotidiennes des tactiques illégales et conflictuelles telles que la
séquestration de patrons, la menace d'exploser leurs usines, les
blocages de l'économie, les auto-réductions, les occupations, les
sabotages et les manifestations offensives. En Europe (et notamment par
le biais de l'OTAN et de l'harmonisation et de la coordination des
politiques de sécurité), les armées et polices collaborent et se
préparent à réagir plus fort vis à vis des mouvements sociaux parce
qu'ils s'attendent explicitement à ce que ceux-ci s'intensifient et que
les gens expriment de plus en plus leur rage dans la rue. Ce contexte
va mettre au défi notre intelligence stratégique, notre capacité à ne
pas sombrer dans dynamiques avant-gardistes, messianiques ou
identitaires, et notre capacité à créer et maintenir des connexions
depuis l'intérieur des mouvements sociaux, avec toute leurs
complexités, leurs diversités tactiques et leurs débats
contradictoires. (...) »
***
« (...) Dans le contexte
de Strasbourg la culpabilité du fait d'avoir “détourné” la
manifestation me semble quelque peu déplacée. Il est vrai que nous
l'avons rendu plus offensive et contribué à mettre dans l'impossibilité
ceux qui le souhaitaient de marcher pacifiquement dans une zone
industrielle isolée, ou de tenter de négocier un passage à travers les
lignes policières. Mais ceux d'entre nous qui ont rejoint cette marche
“pacifiste” avec le visage masqué et une volonté de confrontation
n'étaient pas une petite minorité. Nous étions plusieurs milliers.
Cette manifestation était aussi “notre” manifestation.
Lors
du G8 à Gênes en 2001 et en diverses autres occasions, beaucoup de
personnes du “black bloc” vivaient dans les “campements citoyens et
pacifistes” pour ne pas se faire directement réprimer et isoler par la
police. Par comparaison, et même si beaucoup de gens ont
(malheureusement) dédaigné de contribuer d'une manière ou d'une autre à
son organisation, le campement de Strasbourg donnait beaucoup plus le
sentiment d'être à “nous”. Beaucoup des personnes au campement étaient
anarchistes ou révolutionnaires avec des approches diverses. Et cette
position offensive s'est reflétée dans les actions qui en sont parties
aux cours de la semaine. Cette lutte est aussi notre lutte, et une
bonne partie (beaucoup plus que lors de précédents sommets à ce que
j'en ai ressenti) des personnes participant à la manifestation étaient
soit activement impliquées dans des tactiques confrontationelles, soit
à minima dans un soutien plus passif aux actions offensives qui ont été
initiées. (...) »
***
« Il est intéressant, quand tu
évoques l'incendie de l'hotel, que tu te demandes si cela valait le
coup de prendre le risque de blesser grièvement quelqu'un pour une de
nos actions. Posée de manière aussi générale, cette question me gêne.
De fait beaucoup des actions que nous initions (tout comme beaucoup de
choses moins politiques dans la vie) entraînent que nous prenions ce
risque. Quand nous prenons parti contre le militarisme et le contrôle
social, nous nous attaquons à certaines des institutions les plus
brutales et puissantes dans le monde. A chaque fois que nous portons
cette critique dans les rues, surtout si nous ne nous contentons pas de
défiler passivement, il y a des risques pour que nos compagnons ou
d'autres personnes soient blessés, arrêtées ou plombées affectivement
par les évènements de la journée. Chaque personne participant à une
manifestation devrait être consciente que quelles que soient nos
actions, il y a de toute façon toujours des risques pour que nous nous
fassions attaquer par la police (qui ne s'est d'ailleurs pas gênée pour
gazer et matraquer les manifestants non-violents le matin même).
Toutefois le niveau de violence que nous sommes prêt à assumer ou créer
dans chaque contexte et situation ne devrait jamais être un sujet
évident. Notre éthique, le niveau de répression auquel nous devrons
faire face, et le soutien que nous pouvons recevoir en dépendent.
Ceci est un sujet profond et complexe, mais peut-être peut on se
risquer à l'aborder par quelques considérations simples (simplistes ?).
Par exemple, il est possible de dire qu'il y a une différence assez
claire en terme de rapport à la prise de risque entre ceux d'entre nous
qui ont volontairement choisi une situation de combat et s'y sont
préparés (comme “nous” ou à l'autre extrême les flics sur-protégés et
qui sont là dans le but de nous bloquer et de nous attaquer), et des
passants ou compagnons de manifs qui n'ont pas choisi ces tactiques et
ne se sont pas préparés à des situations de conflits violents. Et il y
a une différence à faire entre prendre le risque de blesser un flic
lors d'une action et même s'attaquer volontairement à eux quand ils
barrent notre route, ou prendre le risque de blesser quelqu'un qui se
trouvait là plus ou moins au mauvais endroit et au mauvais moment. Ce
qui ne signifie pas pour autant que blesser un flic puisse devenir en
soi et pour soi un objectif politique très intéressant, à moins de
chercher simplement à reproduire en négatif la logique punitive de
l'Etat.
De manière générale, les décisions et processus
d'actions qui tendent à transformer les manifestations en zone de
combat nécessitent des considérations prudentes. Le fait dans une
action ou manif, d'avoir divers blocs divisés suivant les tactiques
privilégiées a parfois relativement bien marché dans le passé, tout
comme le fait de se donner des moments différents pour différents types
de manifestation. Pourtant cela fait sens aussi que la conflictualité
physique puisse venir de partout et ne soit pas isolée dans un coin où
un temps séparé. C'est un choix tactique qui peut trouver son
efficacité dans le fait qu'il soit alors beaucoup plus difficile pour
la police de contenir le chaos et qu'il peut permettre aussi à plus de
gens de s'emparer de cette conflictualité. Ce sont aussi les imprévus
et élans spontanés qui déboulent avec plus ou moins de bonheur et
peuvent changer la donne quel qu'aient été les prévisions. Quoi qu'il
en soit, le fait de rejeter les formes politiques de la gauche
traditionnelle, avec ses discours vides, ses manifestations sans buts
et son évitement permanent du conflit, ne devrait pas signifier pour
autant que l'on abandonne une solidarité basique, qui implique de
s'organiser pour protéger les personnes qui sont du même coté que nous
mais qui ne veulent ou ne peuvent pas assumer de tels niveaux de
risques et de répression. »
***
« Durant la
manifestation contre le G8 à Rostock en 2007, j'ai dû prendre la
décision de rejoindre le black bloc ou de rester avec un ami proche qui
s'était récemment brisé le dos et ne pouvait nous rejoindre par peur de
s'endommager la colonne vertébrale, et parce qu'il était bloqué par le
fait que son corps, auparavant fort et invincible, lui ait fait tout à
coup défaut. J'ai rejoint le black bloc, mais ce n'était pas un choix
facile. Cela m'a fait réaliser que nos possibilités d'engagement
physique confrontationnel dans la guerre sociale peuvent être fragiles.
Cela m'a conforté dans le fait de chercher des formes d'engagement
radical sur le long terme qui aillent au-delà de la création de ghetto
pseudo-militaires ou de terrain de jeux pour des révolutionnaires de
vingt ans. Quelquefois j'ai le sentiment que pour un participant au
black bloc de 25 ans, le fait d'avoir 40 ans ou d'être handicapé semble
très loin, improbable ou juste foutrement embarrassant. Dans ce cas,
cela semble encore plus improbable d'atteindre cet âge en étant
toujours impliqué dans des formes de luttes radicales.
Les
niveaux de risques ne sont pas simplement une question d'idéologie
politique. Des personnes qui risquent la prison pour d'autres actions,
vivent sans papiers, des parents et leurs gosses, ou ma grand-mère
peuvent vouloir prendre le risque de se rendre à certaines
manifestations tout en essayant de rester en dehors des troubles. Sans
se paralyser dans nos actions sous prétexte qu'elles ne conviendront
sûrement pas à tout le monde, il n'est pas nécessairement
“contre-révolutionnaire” de chercher des moyens et des temps pour que
des communautés de différents âges et horizons puissent se retrouver
ensemble à se battre, de travailler ensemble à comprendre nos forces et
faiblesses, et d'essayer de se protéger et de briser certaines
barrières face un ennemi commun.
Cette recherche, dans le
sens en tout cas d'une assise matérielle et solidaire, a pu notamment
prendre forme dans les structures collectives que nous avons développés
au fils des ans – soutien légal, équipes médicales, cantines,
transports, organisation de campement, communication et médias
indépendants, soutien face aux traumatismes.... Elles sont une preuve
que nous avons une capacité à apprendre de nos expériences et à croître
en tant que mouvement. Si elles ne se transforment pas en service
séparé et qu'elles restent partie prenantes des choix sur les objectifs
d'actions, elles sont constitituves de notre force. A la lumière de la
rébellion grecque, et dans un contexte de mécontentement social
croissant, je pense que l'utilisation et la multiplication de ces
structures vont devenir de plus en plus importantes.(...) »
***
« (...) Dans ton texte tu décris un piège, un paradoxe par lequel une
critique implacable d'un présent désertique, totalement aliéné, peut
finir par aboutir paradoxalement à une abstraction de nos luttes qui
les vide de sens immédiat et d'objectifs tangibles. La projection
messianique centrée sur le point d'aboutissement de l'insurrection
globale, tend à instaurer une forme de pensée qui dédaigne ou nie tous
les entre-deux, processus, victoires concrètes, les revendications ou
les luttes spécifiques, comme ennuyeuses et forcément parties prenantes
d'un militantisme réformiste qui ne ferait au final que préserver la
paix sociale.... C'est parfois comme si toute amélioration partielle et
concrète de nos vies devient suspecte de reculer l'effondrement du
système. A force de dénicher le citoyennisme dans quasi toutes les
formes de contestation, on en arrive à oublier leurs aspects
conflictuels, leurs forces et leurs évolutions potentielles jusqu'à
réduire drastiquement les formes d'actions et les alliances possibles.
Selon moi, un processus révolutionnaire devrait s'intéresser au
contraire à des résistances sans doutes fragmentaires et lacunaires
mais qui peuvent néanmoins transformer d'ores et déjà la vie des
personnes concernées, et voire dans quelle formes de radicalisation ces
résistances peuvent s'inscrire et se relier à une perspective globale.
Nous avons souvent besoin de points de départ spécifiques, d'ancrage
thématiques, de murs à abattre, de petits victoires concrètes...que
l'on finisse ou non par parvenir à un point d'insurrection généralisée.
Les exemples de mouvement large qui se sont tenus dans cette double
dynamique sont nombreux. On peut avoir en tête le mouvement des roads
protests en Angleterre dans les années 90 qui est parti de luttes et de
victoires très spécifiques, “sur le terrain”, et qui est parvenu à
évoluer à partir de là vers une dynamique anticapitaliste plus globale,
ou encore la manière dont le mouvement autonome italien des années 70 a
pu allier à une vision révolutionnaire globale, des revendications et
luttes spécifiques sur les questions du logement, des conditions de
travail, du l'auto-réduction des factures...tout en parvenant à éviter
jusqu'à un certain point qu'un aspect se retrouve mis en opposition
avec l'autre. »
***
« Le fait de transformer en une
identité des tactiques adaptées à répondre à une situation spécifique a
été un problème récurrent dans un partie des mouvements
anticapitalistes de cette dernière décennie. Nous avons démarré les
groupes de percussions (comme l'Infernal Noise Brigade aux USA ou le
groupe de samba pour le 18 juin à Londres en 1999) en tant que tactique
pour faire monter la tension dans l'atmosphère et ruser la police en
mettant des foules en mouvements là où les sounds-systems dans des vans
étaient trop lents ou pas assez flexibles. Plus tard, de nouvelles
personnes qui n'avaient pas participé à la réflexion tactique et
politique initiale s'y sont retrouvées impliquées et l'idée que la
samba était radicale et révolutionnaire en soi et pour soi a pu finir
par émerger, quel que soit ce que fassent les groupes de samba lors des
manifs. La même chose s'est passée avec les clowns...l'idée de base
derrière l'”armée des clowns” et quoique l'on puisse en penser,
s'appuyait au moins sur une pensée tactique et politique, pas sur
l'idée que les clowns sont révolutionnaires quel que soit le contexte.
Il se pourrait que l'on perçoive plus aisément à travers ces exemples
quand des tactiques commencent à s'abstraire de leurs objectifs, parce
que celles-ci pouvaient nous sembler plus dicutables à la base. Mais on
peut parfois dire la même chose de méthodes plus confrontationelles
comme de se cagouler, de brûler des poubelles ou de péter des vitrines.
On se souvient par exemple du black bloc de 4h du mat' qui est parti du
camp de Retterlich pendant le G8 de 2007 et qui est allé brûler des
poubelles et construire des barricades dans un minuscule village à des
kilomètres de quoi que ce soit. J'y étais et c'était profondément
déprimant !.
Mais je pense que malgré la pertinence des
critiques de certains gestes et postures, ceux-ci offrent néanmoins un
moyen de faire face à nos peurs et de ne pas s'y enfermer, à une époque
où il y a de bonnes raisons d'avoir peur et où nous voulons être
capable de les dépasser et d'agir. Je suis très critique de la tendance
actuelle de la société capitaliste à promouvoir et instrumentaliser une
certaine perspective de la victime comme la seule voie de la vérité.
Comme si les formes possibles de reconnaissance de la domination
devaient nous amputer dans le même temps des moyens de lutter de
manière forte et autonome, comme si la lutte devait paradoxalement se
structurer seulement dans notre fragilité. Bien sûr nous savons et cela
ne fait pas de doute que la fétichisation de la force physique et
martiale est au mieux proto-fasciste. Mais je crois à la nécessité de
prendre une bonne respiration et d'essayer de croire sérieusement à
notre capacité d'agir de manière forte, massive et sauvage. J'ai aussi
besoin aussi d'entretenir une capacité à rire (en notre for intérieur
et entre nous) de nos postures belliqueuses. Il y a pour moi une
différence fondamentale entre partir d'une situation où l'on décide
qu'il est nécessaire de dépasser nos peurs, tout en étant capable d'en
rire et de ne pas se prendre trop au sérieux, et avoir une approche
sans critique de cette même posture belliqueuse.
J'ai vu
beaucoup de nouvelles personnes (hommes et femmes) rejoindre nos
“bandes” et tomber directement dans certains des rôles virils que nous
utilisons pour dépasser nos peurs. Souvent, ils apprennent à se
positionner dans les structures de pouvoirs que nous créons (et qui
miment bien trop souvent les structures de pouvoir que nous cherchons à
abattre) et s'immergent dans une certaine culture héroïsante du
“combattant de la guerilla urbaine”. (d'autres exemples de cette
culture de héros dans nos mouvements peuvent inclure le “super-squatter
Do It Yourself” ou le “théoricien intransigeant”). Ils apprennent ces
rôles sociaux d'autonomes et d'anarchistes plus âgés, qui ont parfois
une vision plus critique de l'utilisation de ces façades identitaires,
mais qui rendent rarement ces critiques explicites ou visibles.
Les jeunes gars auront peut-être plus tendance à étreindre sans
critique des processus de “compétition militante/guérrière” récompensé
par un statut social dans le mouvement. Je suspecte que ce soit, tout
comme c'est le cas pour d'autre système patriarcaux de valorisation,
parce que c'est plus aisé pour eux d'en tirer profit. La promotion des
tactiques de violence politique met en jeu, parfois à l'extrême, des
comportements qui se nourrissent et entretiennent des conditionnements
de genre et de pouvoir, et nous confronte, il faut bien l'avouer, au
risque constant de créer nos propres monstruosités !(...)»
***
« (...) Il n'est pas tout à fait vrai que le “black bloc” fonctionne
seulement en “groupes fermés et paranoïaques”. Peut-être était-ce plus
le cas à Strasbourg où la structuration en groupes affinitaires était
plus marquée, que durant des mouvements sociaux et “émeutes spontanées”
de ces dernières années, où il a pu être parfois relativement aisé de
se rencontrer dans le feu de l'action et d'agir ensemble. Mais même
dans le black bloc à Strasbourg, je sais que des personnes qui ne se
connaissaient pas se sont retrouvées à agir ensemble spontanément sur
telle ou telle action, comme l'a illustré notamment la manif du jeudi
avec les gens du quartier d'à coté. La paranoïa et les groupes fermés
existent, mais ils existent aussi du fait de menaces réelles de
répression policière, d'infiltration ou d'arrestations, en ce qui
concerne certains types d'actions tout au moins. Ce qui ne devrait pas
empêcher de chercher activement à maintenir des espaces et formes de
luttes beaucoup plus accessibles. Néanmoins, toute tentative d'être
plus ouvert et franc, de soulever des questions et réflexions sur des
sujets dont nous ne parlons habituellement pas doit tenir compte de ce
contexte. Tout comme ton texte et le mien doivent être écrit
anonymement !
Il est difficile de trouver un espace de débat
critique où nous ne prenons pas le risque de créer des divisions et des
impressions de dissociation, ou de révéler des points faibles ou
d'autres informations qui pourraient être utiles à nos ennemis. Les
critiques en général, surtout les auto-critiques sur notre rapport à la
“violence” sont particulièrement dures à entendre. Elle s'inscrive dans
un moment historique où la parole qui prime est une condamnation forte
de tous moyens considérés comme “violents” de se confronter à l'Etat et
à la violence économique. On nous répète que c'est une impasse, que
c'est contradictoire, que cela va juste attirer la répression... A un
moment où l'Etat essaie de définir toute action qui pourrait fragiliser
les tenants du pouvoir, comme “terroriste”, et à créer une ligne de
fracture nette entre les militants pacifiques acceptables et les
“hooligans déchaînés”, les “sauvageons des banlieues” ou les
“anarcho-autonomes”, il y a un enjeu crucial à maintenir des options
ouvertes et une diversité d'outils de lutte, et à ne pas se retrouver
totalement désarmés. C'est alors logique que nous nous focalisions sur
la nécessité de défendre la possibilité d'utiliser des tactiques
violentes quant cela est nécessaire. Au vu des attaques auxquelles nous
devons faire face de toute part, il est assez logique que nous soyons
réticents à y ajouter de nouveaux doutes. Pourtant on peut aussi
espérer que la formulation, depuis notre position au sein du mouvement
de critiques « bienveillantes », puissent aussi rapprocher des
personnes souvent maintenue à distance par l'impression d'avoir à faire
face à un rempart idéologique.
Dans cette atmosphère tendue
de paranoïa parfois justifiée, nous ne devons pas accepter de nous
enfermer dans des cases. Il n'y a que très peu de moment de réunions ou
d'assemblées dans nos cercles où nous n'ayons pas des parti pris figés,
où nous nous sentions libres de discuter les réflexions et relations
complexes que nous entretenons à nos manières d'agir et la manière dont
cela affecte les autres, où nous puissions exprimer la passion et
l'emportement aussi bien que les doutes et les sentiments de futilité
qui surgissent parfois. Nous sommes prompts à condamner et à mettre des
étiquettes dans notre quête assoiffée d'identité et de force, et dans
ce contexte beaucoup d'entre nous sont très prudents quand à ce qu'ils
expriment, parce que nous croyons dans la confrontation, parce que nous
voulons participer à la guerre sociale et parce que nous ne voulons pas
nous voir marginalisé de ce “milieu”, où la mise en avant de doutes
peut rapidement valoir d'être perçu comme un « pacifiste” ou un
“traître”.
Mais la surenchère radicale peut aussi s'avérer
finalement assez contre-productive si il s'agit de dépasser nos peurs à
plus long terme. Un pourcentage élevé de personnes disparaissent
tranquillement de nos mouvements partout en europe : trop de gens sont
vidés où lâchent, quelquefois dès la première rencontre réelle avec la
peur ou la répression. C'est ce qui peut en fin de compte arriver quand
nous poussons notre rhétorique au-delà de ce que nous nous sommes donné
les moyens d'assumer dans nos actions, quand nous censurons nos peurs
plutôt que de les dépasser. Tant et si bien que l'on continue à évoquer
des plans, mais qu'il y a parfois mystérieusement de moins en moins de
personnes pour les mettre en oeuvre le moment venu.
Transformer la rhétorique sur la nécessité d'intensifier ”la guerre
civile mondiale” en action concrète signifie plus que de recréer
momentanément les images des parties glorieuses et excitantes de la
guerre, comme le fait n'importe quel film hollywoodien. La lucidité
stratégique exige que nous ne cristallisions pas seulement nos luttes à
travers leurs points d'orgue spectaculaires mais que nous nous
penchions aussi sur la complexité des étapes, des hésitations, des
préalables et des rencontres qui permettent l'existence de ces
résistances et leur donne sens. Sans nier la réalité de la guerre
sociale, nous ne pouvons oblitérer le fait qu'un certain accroissement
de sa violence ne porte pas seulement des germes d'intensité
émancipatrice. Elle pousse généralement aussi, dans chaque camp, à
s'enfermer dans des logiques de vengeance stérile, à pas mal d'ennui,
de stupidité, à une tendance à la cruauté arbitraire, ainsi qu'à des
confrontations souvent douloureuse à la peur et à la mort... Ces
“évidences” n'apparaissent pas plus émancipatrices qu'attirantes et
nous ne devrions ni les glorifier ni les passer sous silence.
On peut sans doute vite se paralyser dans l'auto-critique, à attendre
trop de cohérence dans nos gestes, plutôt que d'arriver aussi à saisir
là où ils peuvent faire levier. D'autant plus que nous sommes nés dans
un environnement individualiste avec un rapport déjà ténu à
l'engagement collectif et à la foi dans la possibilité d'un processus
révolutionnaire, dans la possibilités d'autres formes d'organisation
sociale. Mais si nous arrivons, depuis notre position et sa fragilité
post-moderne, à reconstruire néanmoins de l'implication têtue et de la
force sans retomber dans les pièges idéologiques et religieux des
mouvements révolutionnaires du passé, il se peut que nous trouvions,
sur cette lige de crête, les moyens de nous tenir dans la durée et
d'éviter certaines des désillusions, déprimes, désertions et
retournements de veste qu'ont connu massivement les générations qui
nous ont précédées. (...) »
# Annexe...
Voici un
communiqué de “quelques “casseurs” d'un groupe affinitaire parmi les
black blocs” publié le 8 avril 2009 sur Indymedia avec un “florilège de
citations bien pensantes”. Ils nous semblait intéressant de le proposer
en complément des textes précédents. Il est aussi disponible en
brochure sur infokiosques.net à l'adresse suivante http://infokiosques.net/spip.php?article684
***
OTAN en emportent
les black blocs...
Notes sur la journée strasbourgeoise du 4 avril 2009
« L’insurrection désoriente les partis politiques. Leur doctrine, en
effet, a toujours affirmé l’inefficacité de toute épreuve de force et
leur existence même est une constante condamnation de toute
insurrection »
Frantz Fanon, Les damnés de la terre, 1961.
1
Ce
qui s’est passé à Strasbourg était relativement prévisible, et
relativement inévitable. Pourtant, comme après chaque contre-sommet qui
donne lieu à de belles émeutes, de gauche à droite on hurle au
scandale, on accuse les uns et les autres d’avoir laissé faire les
émeutier-e-s, de les avoir incité-e-s, ou, encore plus fort, d’avoir
machiavéliquement organisé tout ça, dans l’ombre.
Tous
les partis politiques, y compris à l’extrême-gauche, se font les
porte-voix de discours sécuritaires tous plus puants les uns que les
autres, déplorant explicitement ou implicitement l’impuissance
policière face aux actes émeutiers (voir plus bas, le florilège de
citations bien pensantes).
Au final, c’est toujours le
même cinéma, avec dans le fond une idée commune à l’UMP et au Parti
Socialiste, d’Attac jusqu’au Front National : il est impossible que des
gens soient révoltés au point de se lancer d’eux-mêmes dans des
pratiques émeutières. Il faut forcément, pour cela, que ces gens soient
d’une manière ou d’une autre manipulés.
2
Comme
cela a pu être fait en juillet 2001 suite aux grandes émeutes de Gênes
lors du sommet du G8, nous le répétons : nous n’avons besoin de
personne pour nous révolter et pour lutter. Ce samedi 4 avril 2009, à
Strasbourg, si nous avons cassé des vitrines ou mis le feu à des
bâtiments qui sont au service de l’Etat et du capitalisme (douane,
banques, station essence, office de tourisme, hôtel Ibis, etc.), si
nous avons saccagé des caméras de vidéosurveillance et des panneaux
publicitaires, si nous nous sommes attaqué-e-s à la police, ce n’est
pas parce qu’une organisation occulte nous y a poussé, mais parce que
nous l’avons choisi délibérément.
3
Si
nous avons eu autant de facilité à agir, c’est que nous étions
plusieurs centaines à le faire, peut-être même plusieurs milliers (les
fameux black blocs internationaux !).
C’est aussi parce
que les flics ne sont pas totalement des robots. Ce sont des humains,
eux aussi peuvent ressentir la peur, par exemple.
Et dans
une « démocratie », aussi sarkozyste soit-elle, ça ferait mauvais genre
de tuer des manifestant-e-s. Parce qu’une des possibilités pour la
police de faire taire les émeutes plus rapidement aurait été de tirer à
vue. Et autre chose que des gaz lacrymogènes, des grenades
assourdissantes et des tirs de flashball... Le 8 avril 2009, Luc
Chatel, porte-parole du gouvernement, a déclaré que « la priorité du
gouvernement était qu’il n’y ait pas de mort ». Parce que leur «
démocratie » ne se sent pas encore trop en danger.
4
Si
nous n’avons pas pu agir ailleurs que dans les quartiers pauvres du
port autonome de Strasbourg, c’est parce que nous n’avons eu ni la
force ni la finesse de parvenir jusqu’au centre-ville. La police et
l’armée ont protégé la fameuse « zone rouge », autrement dit le
centre-ville et les quartiers bourgeois de Strasbourg. Mais personne
n’est dupe : nous aurions été bien plus redoutables dans ces quartiers
riches...
Par ailleurs, personne n’est dupe non plus sur
le fait que seuls des bâtiments institutionnels ou commerciaux ont été
attaqués. Les biens de la population locale n’ont pas été touchés.
Nous luttons contre le pouvoir, pas contre celles et ceux qui le subissent.
5
Le
discours médiatico-politicien cherche à donner une image de « casseurs
nihilistes et sanguinaires » aux black blocs. Pourtant, les pratiques
des black blocs ne se limitent pas à des actes de destruction (tout
comme nos existences ne se limitent pas aux black blocs, qui ne sont
que des modes ponctuels et contextuels de manifestation). Les black
blocs pratiquent l’entraide et la complicité avec tou-te-s les
manifestant-e-s, dans l’affrontement, l’auto-défense et la fuite face à
l’ennemi policier.
Dans l’émeute, se créé une solidarité spontanée et anonyme, authentique au sens où chaque geste n’attend rien en retour.
Il
y a là deux mondes qui s’opposent dans leurs démarches mêmes : d’un
côté, des manifestant-e-s déterminé-e-s qui sont là pour leurs
convictions, leurs désirs, leur rage de vivre, gratuitement et
pleinement. De l’autre côté, des flics asermentés qui sont là par
contrainte et obéissance, pour l’ordre et pour l’argent, ils sont payés
pour réprimer et doivent réfléchir le moins possible à ce qu’ils font
(le risque de démission serait trop important).
6
Ce
qui se discutait lors du sommet de l’OTAN à Strasbourg nous concerne
tou-te-s. Les guerres post-colonialistes menées par les puissances
occidentales nous font gerber et la guerre aux « ennemis intérieurs »
nous révulse également. Contrôle des populations, gestion des flux
migratoires, renforcement des polices, perfectionnement du
renseignement et du fichage, c’est contre tout cela que nous nous
sommes soulevé-e-s.
7
L’enjeu principal,
pour le pouvoir, est de continuer à imposer à tou-te-s la démocratie
capitaliste comme unique organisation sociale possible. Et malgré les
vies de merde qui sont les nôtres, malgré l’aspect chancelant du
capitalisme ces derniers temps, force est de constater que les
perspectives révolutionnaires semblent tellement lointaines qu’on ne
les imagine qu’avec difficulté. Pourtant, la résignation profondément
contre-révolutionnaire de notre époque n’est pas une fatalité. C’est un
bel enjeu que celui de réussir à s’émanciper du capitalisme, par la
lutte et l’entraide. Et de fait, cette émancipation ne peut co-exister
avec le pouvoir capitaliste et étatique.
8
Sachant
qu’un autre monde ne peut être possible sans l’anéantissement de la
démocratie capitaliste mondialisée, sachant que « toutes les classes
dominantes ont toujours défendu leurs privilèges jusqu’au bout avec
l’énergie la plus acharnée » (Rosa Luxembourg, Que veut Spartacus ?,
1918), semer le chaos et la destruction (pour reprendre les termes
spectaculaires des médias) au sein de ce monde d’oppression et de
contrôle social ne nous pose pas de problème. Cela nous semble même
insuffisant.
Toute possibilité de transformation
révolutionnaire de ce monde ne peut avoir lieu sans rapport de force
tangible. C’est aux dominé-e-s de poser de nouvelles bases de vie
sociale, sans attendre l’assentiment des dominant-e-s.
9
Ces
dernières années ont été traversées par des soulèvements qui inquiètent
le pouvoir : émeutes des quartiers pauvres en novembre 2005, mouvement
anti-CPE au printemps 2006, émeutes anti-Sarko lors des élections
présidentielles de 2007, mouvements étudiants et lycéens de 2007-2008,
et dernièrement la quasi insurrection grecque.
Pour ces
mouvements comme pour les black blocs qui ont agi à Strasbourg, les
médias focalisent sur la jeunesse de ces mouvements, comme pour
enfermer la révolte dans un phénomène générationnel (avec toutes les
remarques condescendantes qui vont avec : « vous verrez, dans dix ans,
vous aurez oublié tout ça et vous serez résigné-e-s comme tout le monde
»).
Nous pensons qu’il y a là un danger à dépasser absolument.
Une insurrection ne peut être uniquement le fait de la jeunesse (une
révolution encore moins) mais, comme la lutte des classes, elle doit
être traversée et vécue par tou-te-s, au-delà des différences d’âge, de
couleur de peau, de genre, de corporation, etc. Avec une conscience
pleine des dominations et des exploitations.
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Si
nous sommes parti-e-s du constat que pour renverser le pouvoir, il ne
sert pas à grand chose de se contenter de manifester calmement, aussi
nombreux soit-on, même à plusieurs millions de personnes, nous sommes
également conscient-e-s que s’attaquer à la police et vandaliser des
propriétés de l’Etat et/ou du capital à quelques milliers ne suffit pas
non plus.
A quelques millions, ça aurait déjà plus de
gueule. Toutes les technologies de contrôle et de répression pourraient
s’avérer insuffisantes à maintenir la colère généralisée.
Mettons
en place et répandons des pratiques communes de résistance, des
solidarités concrètes, des moyens de lutte hors la loi et des
perspectives révolutionnaires... Tout un programme pour en finir avec
le vieux monde et ses technologies d’un futur déjà bien moisi !
Quelque
part en fRance, le 8 avril 2009, quelques « casseurs » d’un groupe
affinitaire actif parmi les black blocs du 4 avril 2009 à Strasbourg
# Florilège de citations bien pensantes...
«
Ils viennent exclusivement pour casser et sont au stade ultime de la
bêtise (...). Ils n’ont pas d’autre idéologie que la violence. Ceux
sont des voyous qui auraient même pu devenir des criminels quand on
voit certaines images. »
Robert Herrmann, premier adjoint au
maire (PS) de Strasbourg, cité par Philippe Wendling dans un article de
20 Minutes, 3 avril 2009.
« Mais surtout, j’ai de la
colère, parce que des gens qui seront présentés comme des militants
anti-OTAN alors qu’ils ne méritent que le nom d’imbéciles, ont commis
des actes très graves qui méritent une condamnation claire et sans
ambiguïté. Ces gens ne sont pas des nôtres, ce ne sont pas des
militants pacifistes et nous refusons que leurs actes soient rapprochés
d’une manière ou d’une autre de la manifestation pour la paix à
laquelle les communistes ont participé. »
Marie-George Buffet, communiqué du Parti Communiste Français, 4 avril 2009
«
Le PCF du Bas-Rhin condamne avec la plus grande fermeté les violences
gratuites des groupes venus au nom de prétextes fallacieux pour casser.
Ces gens là n’ont rien à voir avec les mouvements démocratiques qui
organisaient le Contre-sommet de l’OTAN. Ces groupes font le jeu des
Sarkozy, Merkel, Berlusconi, Brown etc… qui dominent l’Europe et qui
l’ont conduite dans l’ornière de la crise économique et sociale
d’aujourd’hui… »
Communiqué de la fédération du Bas-Rhin du Parti Communiste Français, 4 avril 2009
«
L’objectif du gouvernement était clair, faire passer pour des casseurs
tous ceux et celles qui souhaitaient manifester leur opposition à
l’OTAN. »
Communiqué du NPA (Nouveau Parti Anticapitaliste), 4 avril 2009
«
On voit bien aujourd’hui de quel côté se situent l’extrémisme et la
violence : à gauche ! Le Front National dénonce le saccage de
Strasbourg par des bandes de voyous venus principalement d’Allemagne. »
Bruno Gollnisch, vice-président exécutif du Front National, 4 avril 2009
«
Avant même le début de la manifestation, et pendant de longs moments,
des casseurs venus de toute l’Europe se sont livré à des actes
criminels dont les premières victimes sont les habitants du quartier du
port du Rhin. Ces actes intolérables ont durement touché des
strasbourgeois parmi les plus modestes, et contribué à empêcher
l’expression pacifique de nombreux européens à la politique de l’OTAN.
Poste
de douane, pharmacie, hôtel ont été incendiés, une Eglise investie, le
mobilier urbain complètement saccagé, et l’école du quartier elle même
n’a pu être préservée que par la mobilisation spontanée des habitants
du quartier.
Nous condamnons ces actes sans ambiguité. Leurs auteurs méritent d’être poursuivis et jugés conformément à la Loi.
Ces
événements tragiques ont pu se produire en dépit de l’important
déploiement policier et nous ne pouvons pas ne pas nous interroger sur
la responsabilité de l’Etat et la stratégie qui a été la sienne durant
ces heures éprouvantes. »
Communiqué du Groupe des élu-e-s Verts de Strasbourg, 5 avril 2009
«
L’UNSA-POLICE – Le Syndicat Unique condamne les émeutes d’une rare
violence commises par des groupes de casseurs en marge de la
manifestation organisée à Strasbourg à l’occasion du sommet de l’OTAN
(...).
L’UNSA-POLICE – Le Syndicat Unique rappelle la
difficulté d’exercer le métier de policier dans un climat de plus en
plus tendu et une nouvelle fois réclame l’abandon des suppressions
d’effectifs prévues jusqu’en 2012.
L’UNSA-POLICE – Le Syndicat
Unique apporte son soutien aux agents blessés et félicite l’ensemble
des policiers pour l’exemplarité de leur conduite et du
professionnalisme dont ils ont fait preuve. ».
Communiqué de l’UNSA-Police, 5 avril 2009
«
Les élus du Mouvement populaire ne peuvent comprendre que des
responsables politiques participent à l’incitation à la violence à des
fins politiciennes. Inciter à la révolte ou à la rébellion, ne peut
constituer un programme politique crédible et n’est pas digne des
grands partis républicains.
L’UMP veut par ailleurs rendre
hommage au professionnalisme des forces de l’ordre qui font un travail
remarquable et ne doivent pas être la cible de quelques délinquants.
Il
faut donc adopter la plus grande fermeté avec ces individus, comme avec
les casseurs qui cherchent coûte que coûte à troubler l’ordre public. »
Eric Ciotti (UMP), Secrétaire national à la sécurité, 6 avril 2009
« Ce que je souhaite, c’est que les casseurs soient punis avec une extrême sévérité. »
Nicolas Sarkozy, président de la République, cité par Arnaud Leparmentier dans un article du Monde, 6 avril 2009.
« Tous les partis politiques condamnent cette violence, ces casseurs, ces voyous. »
Bernard Accoyer (UMP), président de l’Assemblée Nationale, cité par Arnaud Leparmentier dans un article du Monde, 6 avril 2009.
« Des groupes ultraminoritaires et ultraviolents qu’il faut sanctionner sans aucune faiblesse ».
Laurent Fabius (PS), cité par Arnaud Leparmentier dans un article du Monde, 6 avril 2009.
«
Le pouvoir instrumentalise les violences qu’il a lui-même orchestrées
pour tenter d’occulter le caractère massif de la protestation contre le
sommet de l’OTAN qu’il n’a pu qu’entraver mais pas empêcher. »
Communiqué du NPA (Nouveau Parti Anticapitaliste), 6 avril 2009
«
Des grenades lacrymogènes ont été tirées pendant les prises de parole
sans la moindre justification, contraignant la manifestation à se
former dans la confusion et l’urgence, permettant à des groupes
violents de s’infiltrer dans le cortège ;
Ces éléments violents ont pu passer les frontières alors que le dispositif Schengen avait été levé (...)
Les
forces de l’ordre ont laissé ces mêmes éléments violents, au demeurant
peu nombreux, (dont le Ministère de l’Intérieur se targue pourtant de
connaître les identités) détruire l’ancien poste de douane sans
intervenir (...) ; comment interpréter les autres destructions que les
forces de l’ordre, pourtant en surnombre dans Strasbourg, n’ont pas su
( ?) empêcher ? Incompétence ou volonté de laisser faire ?
Les
forces de l’ordre, comme c’est leur mission lors d’une manifestation
autorisée, n’ont pas assuré la sécurité des manifestants, mais l’ont,
au contraire délibérément compromise en laissant les éléments violents
agir à leur guise »
Communiqué d’Attac France, Attac Strasbourg et Attac Vosges du Nord, 6 avril 2009
«
le dispositif policier était au point, de l’aveu même d’Alliot-Marie,
et le maire de Strasbourg, qui adopte une posture de dénonciation,
était dans la confidence depuis le début, il s’agit donc purement et
simplement d’une combinaison cynique dont les habitants d’un quartier
défavorisé, plus faciles à punir et à surveiller que les flux de
capitaux, ont fait les frais ».
Communiqué de la Fédération Anarchiste, 6 avril 2009
«
La lumière doit être faite sur les raisons qui expliquent que les
casseurs ont pu avoir le terrain libre pendant près d’une heure, leur
permettant d’incendier le bâtiment des douanes, un bâtiment abritant
une pharmacie et l’office de tourisme et l’hôtel Ibis. »
Roland Ries, maire (PS) de Strasbourg, cité dans un article de nouvelobs.com, 7 avril 2009
Ce texte et les réponses qui suivent sont écrits au “je”, comme si ils
reflétaient les pensées d'une personne et les réponses d'une série
d'autres. En fait ces personnes n'existent pas. Chacun de ces textes
contiennent des voix diverses qui ont fusionné. Le premier provient de
discussions qui se sont déroulées après les actions contre l'OTAN à
Strasbourg en 2009, et d'extraits d'écrits de différentes personnes à
différents moments. Les réponses sont compilées à partir de discussions
et de correspondances avec des personnes qui avaient lu le premier
texte.
Ces textes ont été publié sur Indymedia en Juillet 2009