La charge ne supporte pas l’échec - Notes stratégiques à l’intention de ceux qui nous rejoignent

Deviation

"Le caractère destructeur est jeune et enjoué. Détruire en effet nous rajeunit, parce que nous effaçons par-là les traces de notre âge, et nous réjouit, parce que déblayer signifie pour le destructeur résoudre parfaitement son propre état, voire en extraire la racine carrée. […] Le caractère destructeur n’a aucune idée en tête. Ses besoins sont réduits ; avant tout, il n’a nul besoin de savoir ce qui se substituera à ce qui a été détruit. Le caractère destructeur ne souhaite nullement être compris. À ses yeux, tout effort allant dans ce sens est superficiel.

Le malentendu ne peut l’atteindre. Au contraire, il le provoque, comme l’ont provoqué les oracles, ces institutions destructrices établies par l’État. […] Le caractère destructeur accepte le malentendu ; il n’encourage pas le commérage. Le caractère destructeur est l’ennemi de l’homme en étui. Ce dernier cherche le confort, dont la coquille est la quintessence. […] Aux yeux du caractère destructeur rien n’est durable. C’est pour cette raison précisément qu’il voit partout des chemins. Là où d’autres butent sur des murs ou des montagnes, il voit encore un chemin. Mais comme il en voit partout, il lui faut partout les déblayer. […] Voyant partout des chemins, il est lui-même toujours à la croisée des chemins. Aucun instant ne peut connaître le suivant. Il démolit ce qui existe, non pour l’amour des décombres, mais pour l’amour du chemin qui les traverse."*

 

Avant de commencer j’indique qu’il y aura un je et un nous, un je pour dire ma responsabilité et ma position. Celle d’un artiste indépendant n’étant affilié à aucun groupe préalablement constitué, qui pense et agit pour un contre-pouvoir efficace. Et un nous pour désigner ceux qui partagent l’idée d’une lutte, ceux qui la rejoignent, ceux qui dans la joie d’être ensemble et anonymement tendus vers un même obstacle, se demandent comment resserrer les rangs de devant. Il y a bien sûr aussi un ils, ceux que l’on veux défaire, l’État, la finance, ceux qui font stagner les richesses, ceux qui exploitent, et leurs bras répressifs.

 

Il est une chose particulière à notre combat, c’est que l’ennemi n’a pas de visage, nous envahit de symboles, utilise une langue vide et délègue et dilue son pouvoir. Celui qui dirige n’est pas celui qui se montre mais celui qui agit, l’équipe de pantins gouvernementaux prend ses ordres d’autres instances. Mais ils utilisent le même rempart : les kapos modernes que constitue la police – Kapo désignait un prisonnier dans les camps à qui l’on confiait un pouvoir sur les autres prisonniers, par extension un kapo est un homme issu du peuple, le plus souvent celui qui a le moins de capacités intellectuelles, le plus violent et le plus servile à qui l’on confie un pouvoir. De fait, grandi par sa nouvelle importance il sera d’autant plus zélé dans l’accomplissement des tâches qu’on lui confie. Pour défaire l’ennemi nous ne pouvons détruire au sens propre sa police, mais nous pouvons l’épuiser, la disperser et la faire reculer afin que ceux qui se cachent derrière vacillent et se rendent. Afin que l’on puisse se concerter au calme à propos de l’après, sans le bruit de fond médiatique et les contorsions de l’exécutif pour faire passer la pilule de ses réformes.

 

"Connaissez l’ennemi et connaissez-vous vous-même ;
en cent batailles vous ne courrez jamais aucun danger."

 
Sun Tzu

 

Le connaître c’est le définir, c’est apprendre son langage et sa hiérarchie. Ce qui est visible n’est pas ce qui est, la déformation médiatique oblige à aller chercher plus loin. La fuite du document de formation de maintien de l’ordre de la gendarmerie par exemple (document en lien), nous indique leur langage et la représentation qu’ils se font de nous. Un langage acronymique, technique, schématique, déshumanisé, nous sommes des smileys rouges mais plutôt souriants, « des adversaires mais pas des ennemis ». Rendre l’autre objet, comme en boxe : on ne regarde pas l’adversaire dans les yeux, on fixe un point au niveau du haut thorax, pour avoir une vision périphérique et ainsi le rendre inerte, tout sentiment devant être mis de côté. Toute technique d’attaque ne doit comporter aucun affect, les ordres permettent en partie de déléguer sa responsabilité, de ne pas s’embarrasser de décisions éthiques ou morales. Rappelons que nos actes ne sont pas de la violence mais de la légitime défense, cette légitime défense n’est pas celle établie politiquement, officiellement, mais celle de la raison.


Dans un graphisme douteux, le document présente les mouvements stratégiques des troupes, les gradations de la violence et les cadres légaux. En regardant sa première page, on comprend que le document proviendrait de l’école de gendarmerie de Châteaulin, située dans le Finistère, grâce à la devise en breton : « E pep amzer war raok » et sa traduction en français : « De tout temps en avant », et les symboles – piqués dans des autocollants Malabar – des 7 compagnies. La suite est une simplification des textes de loi, et une présentation des différentes stratégies. Je vous invite à regarder les articles de loi mis en référence – trop long à décortiquer ici –, ils montrent l’évolution des cadres légaux et de leur idéologie en trame de fond, comme par exemple l’utilisation de l’armée pour le maintien de l’ordre

 

Il est intéressant de mettre en lien ce document avec le rapport « relatif à l’emploi des munitions en opérations de maintien de l’ordre » rédigé par L’IGPN ET l’IGGN en novembre 2014 à la suite de la mort de Rémi Fraisse
Plusieurs choses à en tirer : 1) Les données statistiques des dernières manifestations depuis 2009 : nombre de blessés et morts, nombres et types d’armes et munitions utilisées. Tableau glaçant où Rémi Fraisse est une statistique en bas de colonne. 2) Les comparaisons du maintien de l’ordre avec les autres pays européens. Nous sommes le seul pays à encore utiliser des grenades offensives. 3) Les conclusions qui prônent le maintien des grenades offensives (les OF/F1 sont interdites depuis la mort de Rémi, mais les autres toujours en service). 4) Ils nous offrent la description de la panoplie pour se prémunir de leurs attaques (p. 14) :

 

"Une facilité variable pour les manifestants à se prémunir des effets de la force déployée selon leur nature. Les manifestants développent des contre-mesures destinées à les soustraire aux effets des procédés et munitions mis en œuvre par les forces.
Ces méthodes peuvent atténuer, voire annihiler, les effets subis :

- effet de percussions, poussées et coups : port de casques,
rembourrage, équipements sportifs de protection (protège-tibias, jambières...) ;
- effet lacrymogène : équipements rustiques (lunettes, foulards, masques papier)
ou industriels (masques à gaz), évitement de la zone traitée ;
- effet sonore : boules « QUIES », bouchons auriculaires, casques antibruit, éventuellement à seuil ;
- effet de souffle (grenade, ndr) : sauf à quitter la zone battue, ou à se protéger
derrière des obstacles, même pour les manifestants les plus agressifs il est difficile de se prémunir des effets mécaniques de souffle (projection par l’onde de choc)."

 

Évidemment, sur le terrain, la panique l’emporte souvent, entre les gaz, les charges et le bruit des grenades il est difficile de rester vigilant et serein. Une manifestation ne se faisant jamais seul il est plutôt conseillé d’y venir accompagné, en cas de blessure, en cas d’arrestation, et c’est beaucoup plus joyeux. L’entraide est aussi essentielle, si le mobilier urbain et les banderoles renforcées peuvent servir de protection, on ne se protégera jamais aussi bien qu’entre nous. Saluons ici le travail hallucinant des Streetmedics qui, débordés et ciblés par les FDP (Forces de police), s’occupent de nos blessures plus ou moins graves. Les rues perpendiculaires sont les endroits les plus sensibles puisque nous nous retrouvons avec les FDP sur les côtés et non plus en face ou derrière, ce qui produit quand ils chargent une rupture avec le reste du groupe, c’est comme ça que l’on se fait nasser. L’idée étant de ne pas répondre à ce moment-là aux agressions des FDP et de rester en groupe compact. S’il y a confrontation, partir sur les côtés fragilise notre unité, il faut rester dans l’axe autant que possible et garder le lien, il vaut toujours mieux les avoir en face ou derrière que sur les côtés. Ne pas courir est un des conseils les plus avisés, on a vu dans le document de formation que leurs bonds offensifs – la charge – se font entre 5 et 10 m : rien ne sert de courir il faut s’arrêter à point. Leurs charges sont une provocation qu’il faut savoir appréhender, l’entraide et la solidarité se manifestent ici, les plus téméraires protègent ceux qui le sont moins. J’ai vécu ce 14 juin un mouvement de foule où certains déstabilisés tombaient et se faisaient piétiner. Les FDP cherchent la dispersion et à installer la terreur chez les moins aguerris, mais il nous faut tenir le pavé.

 

Il y a quelque chose que j’aime bien dans le mot agacer, c’est léger mais acide, simple mais dans la répétition régulière de quelque chose, une gêne s’installe jusqu’à la crispation et l’emportement. Comme le mythe du supplice de la goutte d’eau, une goutte tombe régulièrement sur la tête jusqu’à épuisement physique et mental.
Il faut les agacer, les rendre fous, nous n’avons pas leur arsenal, mais par notre nombre et notre détermination, comme une nuée d’abeilles, nous pouvons les harceler, petit caillou agaçant qu’ils ne pourront pas enlever de sitôt.

 

Une manifestation déclarée c’est un peu comme une grève japonaise, un brassard noir autour du bras mais les activités continuent, ça reste une image. Les actes de blocages, les grèves et autres actions viennent y apporter une force supplémentaire et souvent décisive. Il est tout de même étrange de demander l’autorisation pour manifester une désapprobation, c’est pourquoi même si les manifestation inter-luttes et inter-syndicales sont importantes, les manifs sauvages le sont d’une autre manière. Souvent spontanée, après la sortie d’une nasse, en prenant la tangente d’une manif déclarée, la manif sauvage a cette fraîcheur que rien n’égale. Les décisions de direction se font sur le moment, démocratie directe, la -cratie devient réelle, on gueule pour proposer une route, un objectif. On devient imprévisible, on continue jusqu’à dispersion totale, on devient inventif, on se sépare, on se rejoint, on prend les FDP à revers, on découvre de nouveaux quartiers, c’est une manière de se réapproprier la ville. Si Paris à été défigurée par Haussmann qui y a creusé de vastes avenues dans les quartiers pour empêcher justement que l’on s’y dissimule et faciliter les interventions, la manif sauvage nous aide à comprendre l’idéologie qui ce cache derrière l’urbanisme, on découvre que les ruelles manquent parfois, on ressent les lignes de vie de la ville, on s’y perd, on trouve de nouvelles voies et on redessine des parcours.

 

Avant de conclure il est bon de rappeler les différentes unités de répression. Voici les principales : Les CRS, compagnies républicaines de sécurité, reconnaissables à leurs bandes jaunes sur le casque, police ; la GM, gendarmerie mobile, casque bleu marine, armée ; la CDI, compagnie départementale d’intervention, casque bandes bleues, police ; la BRI, brigade de recherche et d’intervention, ceux qui nous fichent, souvent les plus violents, casque noir ou en civil, police ; la BAC, brigade anti-criminalité, en civil, peuvent porter un casque bandes bleues ou un casque de moto, ils doivent pour intervenir porter un brassard orange fluo avec la mention police. Ce sont les plus dangereux, ils se mêlent à la foule, ont des matraques télescopiques dont ils se servent allègrement pour interpeller mais surtout blesser.

 

Il y a une compagnie dont je n’ai pas parlé parce qu’il semblerait qu’ils n’aient pas fonction d’intervenir sur le sol européen, mais les statuts sont plutôt flous : c’est L’EUROGENDFOR, force de gendarmerie européenne fondée en 2004. Issue d’une initiative de la France avec l’Italie, les Pays-Bas, le Portugal, l’Espagne et dernièrement rejointe par la Roumanie, « son but est d’améliorer la capacité de gestion de crise dans les régions sensibles ». Vous trouverez les informations légales dans ce document. Quelques chapitres édifiants : Chapitre II : Missions, engagement et déploiement ; Chapitre VII : Privilèges et immunités ; Chapitre VIII : Dispositions relatives à la juridiction et aux pouvoirs disciplinaires. Ce sont des mercenaires au sens propre, petite armée privée au service des signataires, ne dépendant donc pas de l’union européenne, au cas où sur leur sol une révolte devienne ingérable.

 

Pour conclure, la lutte ne se limite pas seulement à une présence active dans les cortèges, l’engagement est permanent : s’informer, comprendre les enjeux, participer aux actions diverses, partager ses connaissances et surtout savoir faire la fête et continuer de se marrer, c’est quelque chose qu’ils ne pourront nous enlever. Et même si, quand on rentre le soir, nous sommes accablés par la fatigue, l’inhalation des gaz neurotoxiques, souvent les blessures, les oreilles qui sifflent et les visions des camarades en sang pris en charge par les medics, qu’il y a comme un mélange d’angoisse et de déprime, l’envie irrépressible d’y retourner et d’en découdre à nouveau reprend le dessus. Retrouver ceux avec qui on se sent fort et proche provoque quelque chose d’addictif dans la joie d’être ensemble, parce que nous ne sommes pas juste ensemble pour partager un loisir, mais l’idée qu’autre chose est possible. Alors on ne se rassemble pas seulement pour manifester mais on se retrouve pour mettre en commun nos volontés.

 

*Walter Benjamin - Le caractère destructeur

 

Paris Luttes Info; https://paris-luttes.info/la-charge-ne-supporte-pas-l-echec-6261

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...in Seine-Saint-Denis (bei Paris) erwischt (https://www.youtube.com/watch?v=ho7QbJdLACg). CGT Oberchef Martinez ist sofort aufgelaufen und die allgemeinen Erregung ist gross. Der Herr Premierminister war auch sofort an der Seite der CGT. Am Donnerstag hatte es bereits (zum wiederholten Male) die Zentrale der CFDT in Paris erwischt, die im Laufe einer Spontandemo ihre Scheiben einbüsste. In den letzten Monate ist es nach Konflikten mit dem Ordnungsdienst der CGT und der FO auf Demos in Paris, Marseille und anderen Orten mehrmals zu Attacken gegen Büros der CGT gekommen.

An der "Kapitulation" von Donnerstag, als sich die Gewerkschaften darauf einliessen, in einem Bullenkesssel die zentrale Pariser Demo durchzuführen, hatte es massive Kritik gegeben, auch auf der Demo hatte es Rangeleien mit dem Ordnungsdienst von CGT und FO gegeben.

Ob die Aktion gegen die CGT in Saint Denis damit in Verbindung steht, ist zwar spekulativ, aber denkbar.

...hat eine Zwischenbilanz des Kampfes gegen das loi travail gezogen, auf labournet gibt es eine Version in englisch und spanisch. labournet hat die Bilanz auch auf deutsch zusammen gefasst: http://www.labournet.de/internationales/frankreich/politik-frankreich/po...

Die zentrale Demo in Rennes am Donnerstag: https://www.youtube.com/watch?v=mXmTtj8r964

 

Die Demo am Donnerstag gegen das loi travail in Bordeaux: https://www.youtube.com/watch?v=0aIoqs5PhHA

 

Bullen gegen Streikende in Ivry-sur-Seine, einem Vorort von Paris, traditionell links und kämpferisch: https://www.youtube.com/watch?v=E8nMGKNA3sQ

 

Kundgebung letztes Wochenende in Paris auf dem Platz der Republik. In Solidarität mit den Leuten, die vom Staat wegen des Angriffs auf einen Streifenwagen verfolgt und eingesperrt werden: https://www.youtube.com/watch?v=HXtDPMSUTd0